2011-03-20

Stratagème n° 32 : le stratagème de la ville vide

Rien dans les mains, rien dans les poches, ruse des mauvais jours, ruse des ruses.
Le Yijing dit : à la frontière entre force et faiblesse.

Jeu du plein et du vide, règne de l’illusion, les règles de la stratégie sont chaque fois différentes.
Sous la dynastie des Tang, les barbares harassaient la préfecture de Guanzhou dont le gouverneur militaire fut tué dans les combats. La population était gagnée par la panique. Zhang Shougui fur nommer pour le remplacer. Son premier soin fut de réquisitionner la population pour réparer les fortifications endommagées. Au beau milieu des travaux, l’ennemi survint. La ville était sans protection. Les défenseurs se lançaient des regards impuissants et blêmissaient de peur. Nul ne songeait à résister. Mais Zhang Shougui prit la parole : l’adversaire a l’avantage du nombre et beaucoup de nos blessés ne sont pas encore sur pied. Nous ne pouvons combattre. Il faut donc recourir à une ruse. Il fit organiser une fête sur les remparts avec force vin et musique, à laquelle furent invités soldats et officiers. Les barbares, redoutant un piège, battirent en retraite sans oser attaquer.
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Zu Ting, gouverneur du nord du Xuzhou, venait de gagner sa nouvelle affectation quand les armées des Chen lancèrent un raid contre sa ville. La population de la cité entra en rébellion. Zu Ting laissa grandes ouvertes les portes de la ville et ordonna aux défenseurs des remparts de quitter leurs postes pou prendre position dans les rues de la cité et y interdire toute circulation. Le silence régna bientôt dans la cité où hommes, coqs et chiens se taisaient de concert. N’entendant aucun bruit, ne voyant rien bouger, les agresseurs crurent que la population et la garnison avait décampé à leur approche. Soudain, Zu Ting donna l’ordre de pousser une grande clameur et de battre le tambour à tout rompre. La surprise glaça d’effroi les bandits. Ils s’enfuient à toute vitesse, sans demander leur reste.
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Zhuge Liang, ministre de Shu, se trouva coupé du gros de son armée dans la ville de Xicheng. Il ne disposait que d’une petite troupe et n’était pas en mesure de livrer bataille quand on vint l’informer que l’armée de Wei, commandée par Sima Yi, marchait, dans sa direction. Zhuge Liang monta sur les remparts de la ville et vit à l’horizon obscurci par un immense nuage de poussière. Sima Yi s’approchait à la tête de cent cinquante mille soldats. Zhuge Liang donna alors les ordres suivants : que toutes nos bannières disparaissent des murailles. Que les hommes prennent position à l’abri de la rambarde du chemin de ronde. Je ne veux pas d’allées et venues et pas le moindre bruit. A l’arrivée de l’armée de Wei, rien ne doit bouger. J’ai mon plan. La mort pour qui contrevient à mes ordres. Il fit ouvrir les portes de la ville dans les quatre directions et ordonna à vingt soldats vêtus en civils de balayer chacune des quatre allées d’entrée.
Puis, Zhuge Liang revêtit sa robe de cérémonie, coiffa son bonnet de soie noire et, en compagnie de deux jeunes serviteurs portant son luth, monta au pavillon qui surmontait la grande porte des remparts. Là il s’assit, appuyé contre la balustrade, alluma de l’encens et pinça les cordes de son instrument. C’est alors que survient un détachement de l’avant-garde de Sima Yi en mission de reconnaissance. Devant l’étrange aspect de la ville, les hommes n’osèrent passer ses portes, mais s’empressèrent d’aller rapporter à leur général ce qu’ils avaient vu. Sima Yi, incrédule, éclata de rire. Il fit faire halte à son armée et se rendit au grand galop devant la citadelle. Zhuge Liang l’attendait tranquillement assis sur sa tour, aimable et souriant, encadré par ses deux serviteurs, l’un portant son épée et l’autre sa queue de cerf, insigne de commandement. Il pinçait les cordes de son luth pendant que la fumée d’encens s’élevait en volutes. Aux portes de la ville, des gens du peuple étaient affairés au balayage et la ville paraissait vide.
Sima Yi fut saisi d’un doute horrible devant ce tableau. Il revient vers son armée, lui fit tourner les talons et battre en retraite en direction des montagnes. Son fils cadet lui demanda alors : mais Zhuge Liang n’a pas la moindre troupe à sa disposition. Pourquoi battre en retraite ? Sima Yi lui répondit : Zhuge Liang est un homme prudent. Il n’est pas dans ses habitudes de jouer avec le feu. S’il a laissé la ville grande ouverte, une embuscade doit nous y attendre. En avançant, nous serions tombés dans son piège. Tu es trop jeune pour comprendre. Filons d’ici aussi vite que possible. Zhuge Liang, en le voyant battre en retraite, dit à ses officiers : Il a cru à une embuscade. Moi, à sa place, je n’aurais pas renoncé si rapidement.
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Si les points forts et les points faibles d’une armée ou d’un système de défense sont analysés en termes de plein et de vide, ces deux critères peuvent aussi entrer dans un processus complexe de leurre, visant à faire perdre à l’adversaire la juste appréciation de la force qui lui est opposée : là où il y a un vide, créer l’illusion d’un plein afin que l’adversaire n’ose pas attaquer ; là où il y a un plein, créer l’illusion d’un vide afin d’attirer l’adversaire dans un piège ; là où il y a un vide, montrer ouvertement un vide, afin que l’adversaire soupçonne qu’en fait il a affaire à un plein ; là où il y a un plein, montrer ouvertement ce plein, afin que l’adversaire pense qu’il s’agit d’un vide.
En d’autres termes : faible, il faut créer l’illusion de la force ; fort, celle de la faiblesse ; faible, montrer sa faiblesse pour que l’adversaire croie que l’on dissimule une force ; fort, en faire étalage pour induire l’adversaire à s’avancer hasardeusement en pensant rencontrer une faiblesse.
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Sous le règne de l’empereur Jingdi des Han, les barbares Xiongnu avaient attaqué la commanderie de Shangjun. L’empereur envoya l’un de ses favoris et le général Li Guang pour préparer la riposte. Le favori impérial alla effectuer une mission de reconnaissance en compagnie d’une escouade de quelques dizaines de cavaliers quand, soudain, ils tombèrent sur trois cavaliers barbares. Les cavaliers Han foncèrent sur eux. Les trois barbares battirent en retraite à bride abattue et tirant flèche sur flèche.  Un trait atteignit le favori impérial et la plupart de ses compagnons furent tués. Mais il réussit à prévenir le général Li Guang, qui se lança à la poursuite des fuyards à la tête d’une centaine de cavaliers. Les barbares, ayant perdu leurs montures, fuyaient à pied. Li Guang déploya ses hommes sur deux ailes, tua deux fuyards de ses flèches et s’était déjà emparé du troisième qu’il avait fait ligoter et jeter en travers de sa selle quand une troupe de plusieurs milliers de barbares surgit.
Voyant le groupe de cavalier Han isolé, l’ennemi crut qu’il avait affaire à un appât. Les barbares prirent position sur une hauteur et attendirent. Les cent cavaliers Han, terrifiés, voulaient tourner bride et fuir au grand galop, mais Li Guang leur dit : notre armée est trop loin. Ils auront le temps de nous rattraper si nous fuyons, ou nous péririons sous leurs flèches. Il vaut mieux rester sur place, les laisser penser que nous servons d’appât et qu’une embuscade a été organisée par nos troupes s’ils nous attaquent. Li Guang ordonna donc à ses hommes de galoper droit sur les barbares. Parvenus à deux li de la position ennemie, il les obligea à mettre pied à terre et à défaire leurs selles.
Mais l‘ennemi est tout prêt, protestèrent-ils. Li Guang répondit : ils s’attendent à ce que nous fuyions. Mais si nous leur montrons que ce n’est pas dans nos intentions, ils vont être certains que nous servons d’appât. Les barbares restaient dans l’expectative. L’un deux partit en éclaireur. Il dirigea sa monture sur eux et s’approcha. Li Guang sauta sur son cheval, fonça sur l’imprudent en compagnie d’une dizaine de cavaliers et lui décocha une flèche qui le tua sur le coup. Après cette escarmouche, Li Guang retourna vers son groupe et donna l’ordre à ses hommes le signal de la sieste. Le soir tombait. Les barbares ne comprenaient rien à la situation mais, en désespoir de cause, n’osaient toujours pas attaquer. En pleine nuit, ils se retirèrent. Au petit matin, Li Guang regagna son armée.

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