2011-03-20

Stratagème n° 31 : le stratagème de la belle

L’armée la plus puissante a encore un point faible : le général qui la commande. Le général avisé a encore un point faible : les passions qui l’habitent. Quand il aura perdu toute ardeur au combat le découragement gagnera son armée dont on verra la vigueur décliner.
Le Yijing dit : adopter une politique défensive et serrer les rangs pour se protéger.

On ne doit pas se frotter à une armée puissante et bien commandée. Mieux vaut alors faire soumission et payer un tribut. Faire don de territoires à mon adversaire n’aura pour résultat que de l’enhardir encore.
Payer l’adversaire en espèces sonnantes et trébuchantes ou en rouleaux de soie ne fera qu’augmenter ses ressources financières (et lui permettre ainsi de continuer la guerre). Ainsi la dynastie des Song se ruina-t-elle à entretenir ses adversaires, les royaumes barbares Liao et Jin. Cette politique-là est encore mauvaise. Non, le seul tribut qu’il convient de payer sera une belle jeune fille dont on fera don à l’adversaire. Elle affaiblira sa combativité, le rendra anémique et excitera la rancœur de ses subordonnés.
Alors que la marche vers l’est de l’Etat de Qin continuait irrésistiblement, les autres royaumes soumis à sa pression tentaient par tous les moyens d’obtenir quelque répit. Entre deux défaites militaires, ils accordaient ainsi à Qin des concessions territoriales de plus en plus importantes qui ne faisaient que renforcer sans cesse la puissance de leur adversaire. Rares étaient, en ces temps, les hommes d’Etat lucides qui comprenaient la situation et tentaient de rassembler encore les forces divisées des six royaumes afin d’opposer à Qin une résistance décidée.
Les annales rapportent ainsi les débats qui opposèrent à la cour de Zhao le ministre Yu aux partisans de la reddition. Qin avait mis le siège devant la capitale de Zhao puis, sans raison apparente, s’était retiré. Le roi de Zhao décida alors de faire don à son ennemi de six de ses villes pour acheter la paix. Le conseiller Yu Qing s’opposa à ce projet : Qin a battu en retraite pour la simple raison qu’il était à bout de forces. Croyez-vous donc que s’il avait pu attaquer il n’en aurait rien fait pour l’amour de Votre Majesté ? dit-il au roi de Zhao. Si vous accordez à votre adversaire ce qu’il n’a pas la force de prendre lui-même, vous l’aidez à préparer sa prochaine attaque. Il reviendra dans l’année qui vient et c’en sera fait de vous.
Le roi rapporta ces arguments à un autre de ses conseillers qui était d’un parti contraire. Celui-ci commenta ainsi : si nous cherchons à tout prix à conserver nos six petits territoires, il est à craindre que notre ennemi lance une nouvelle attaque l’année prochaine et que cette fois ce sera votre palais qu’il faille lui céder. Le roi demanda alors troublé : si nous lui offrons ces territoires, pouvez-vous me garantir que nous aurons la paix ? Le partisan des négociations répondit : je n’ai pas dit cela. Jadis, nous étions tout comme nos deux voisins Han et Wei, en bon termes avec Qin. Mais voici que Qin concentre contre nous ses assauts. Cela veut dire que nous ne nous sommes pas montrés aussi conciliants que nos deux voisins. Je pense pouvoir me charger de renouer les relations amicales que nous avons rompues en tentant de résister à Qin. Toutefois, il convient pour cela de lui ouvrir nos frontières et de lui offrir de riches présents. Mais il ne faudra pas s’étonner si, l’année prochaine, nous subissons une nouvelle attaque.
Le roi de Zhao alla encore répéter ces propos à Yu Qing. Celui-ci répondit : cet homme ne peut rien garantir quant à la suite des événements. A quoi bon faire don de ces six villes ? Si Qin revient, continuerons-nous à lui accorder de plein gré ce qu’il n’est pas de force à nous prendre ? C’est là une politique suicidaire. Il vaut mieux ne pas négocier. Qin était en situation d’offensive victorieuse. Il ne nous a pas repris ces villes. Notre défense était en échec, mais nous ne les avons pas perdues. Il vaudrait mieux que nous offrions ces six villes aux autres royaumes en leur demandant d’unir leurs forces pour attaquer Qin. Nous pourrions ainsi faire payer à Qin le prix que nous aurait coûté notre cadeau, et obtenir un profit au lieu de gaspiller en vain nos ressources.  Yu Qing ne put cependant longtemps infléchir ni la politique de Zhao ni la tendance générale de l’époque qui vit les six royaumes se livrer ainsi aux coups de Qin comme un troupeau d’agneaux qui se jette dans la gueule du loup. Quand la mante religieuse mange la cigale, le moineau arrive derrière.

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