2011-03-20

Stratagème n° 28 : les faire monter sur le toit et tirer l’échelle

Tromper ses propres troupes en leur promettant un succès facile. Les pousser en avant en les coupant de toutes possibilité de secours. Et les prendre au piège dans un terrain de mort.
Le Yijing dit : un cadeau empoisonné les a entraînés trop loin.

On pousse les hommes en avant en leur faisant miroiter l’espoir d’un profit. Mais celui-ci doit, de plus, apparaître facile, sinon ils ne se laisseront pas tenter. Aussi pour pouvoir retirer l’échelle, il faut d’abord l’avoir mise en place ou en avoir tout au moins créer l’illusion. Quand les hommes se sont enfoncés profondément dans un territoire ennemi, ils sont unis. Lancez-les donc sur des terrains sans issue. Ils seront alors forcés de mourir sur place car il ne leur restera pas d’autre choix, et c’est alors qu’ils iront jusqu’au bout de leur forces. Une troupe prise au piège n’éprouve plus la peur. Quand elle n’a plus d’issue, elle se défend avec une fermeté inébranlable. Quand elle n’a plus d’autre choix, elle combat.
Devoir du général : être calme, secret et organisé. Le général modifie ses actions, change au fur et à mesure ses plans et sait faire en sorte que nul ne voie où il veut en venir. Il déplace ses positions, complique sa route et fait en sorte que nul n’ait la moindre idée de ce qu’il est en train d’accomplir.
Le terrain mortel est dans la topographie militaire ancienne l’une des principales catégories de configuration. On peut relever deux types de définition. Au sens strict : un terrain où l’armée a dans son dos un obstacle et devant elle l’ennemi. Au sens large : tout territoire où la seule chance de survie est de livrer bataille sur-le-champ.
En l’année 205 avant notre ère, Liu Bang affrontait le royaume de Zhao dans la plaine centrale, pendant que Han Xin, son meilleur commandant, entreprenait un vaste mouvement tournant pour soumettre les provinces au nord du fleuve Jaune et prendre à revers les armées de Zhao. Han Xin se prépara à traverser la chaîne des Taihangshan pour soumettre le royaume de Zhao. Les armées de Zhao l’attendaient à la sortie des défilés de Jingxing, avec un nombre d’hommes quatre fois supérieur. Han Xin ne s’en inquiéta pas et, après avoir soigneusement pris garde à ce qu’aucune embuscade n’ait été préparée dans la passe, il lança son armée en avant, ne donnant l’ordre de halte qu’à quelques lis de l’armée de Zhao.
Han Xin mit alors en application la première partie de son plan. Il ordonna à un corps de deux mille cavaliers de se rendre par des chemins détournés sur les hauteurs qui surplombaient le camp de Zhao, d’y prendre position et d’attendre que l’ensemble des forces ennemies aient quitté leurs fortifications. Chacun des deux mille cavaliers était porteur d’une bannière pourpre, emblème du pouvoir de Liu Bang. Au moment venu, vous entrerez dans le fort vide, abattrez les bannières de ses remparts et les remplacerez par les nôtres, donne Han Xin comme consigne. Il ordonna aux officiers de faire prendre aux hommes une rapide collation. Nous mangerons un vrai repas un peu plus tard dans la journée, dès que l’ennemi aura été anéanti. Certes ! S’écrièrent en chœur ses officiers qui, étant donné le déséquilibre des forces en présence, n’en croyaient pas un traître mot.
Han Xin dit : l’ennemi bénéficie d’une position imprenable. Il ne la quittera pas pour quelques escarmouches, et ne se lancera à l’assaut que lorsqu’il aura vu ma grande bannière de commandement qui lui prouvera qu’il a affaire à notre force principale. Il faut organiser notre tactique en conséquence. Han Xin envoya un premier détachement de dix mille hommes prendre position face à l’ennemi, dos tourné à la rivière Chi dont le cours passait perpendiculairement à l’embouchure du défilé. Voyant les bataillons adverses disposés ainsi, toute l’armée de Zhao fut prise d’un énorme rire.
Aux premières lueurs de l’aube, Han Xin prit alors le commandement de sa force principale et dans un grand fracas de tambours monta à l’assaut. Le haut commandement de Zhao lança le gros de ses troupes à l’attaque et une mêlée furieuse s’engagea. Soudain Han Xin décrocha et, feignant de battre en retraite précipitamment en laissant derrière lui tambours et bannières, il courut rejoindre les troupes qui étaient restées en réserve le dos au fleuve. Elle ouvrirent leurs rangs pour lui laisser passage et partirent au combat, pendant que l’armée de Zhao, abandonnant toute méfiance, quittait sa place forte pour profiter de son avantage. Les bataillons des bords de l’eau supportèrent sans broncher la ruée adverse. Les hommes de Han Xin ne cédaient pas un pouce de terrain.
Pendant que l’armée de Zhao était occupe à en découdre, les deux mille cavaliers que Han Xin avait disposés en embuscade firent irruption dans l’enceinte du camp ennemi, abattirent ses étendards et le remplacèrent par leurs bannières écarlates. Un moment plus tard, l’armée de Zhao, incapable de venir à bout de l’adversaire, reçut l’ordre de se replier. Mais quand les troupes eurent atteint les abords de leur camp, la vue des couleurs de l’ennemi qui hérissaient ses remparts les plongea dans la panique. Persuadés qu’ils étaient pris à revers par une force importante et que leur état-major était tombé aux mains de l’adversaire, les soldats de Zhao prirent leurs jambes à leur cou… Les officiers débordés avaient beau décapiter les fuyards qui leur tombaient entre les mains, ils étaient impuissants à contenir la débandade. Han Xin donna alors le signal de la curée puis, prenant l’ennemi en tenaille, il écrasa l’armée de Zhao, et fit prisonnier son monarque.
Quand tout fut fini, les généraux de Han Xin, après lui avoir montré la montagne de têtes coupées dans la bataille et l’important contingent de prisonniers ennemis, lui présentèrent leurs chaleureuses félicitations. Ils lui demandèrent aussi quelle était sa méthode. Han Xin expliqua : enferrez-les sur un terrain mortel, et ils sauveront leur vie. Nous ne disposons pas, hélas, de guerriers aguerris, Nos troupes sont composées de conscrits levés à la hâte et mal entraînés. Si on laisse la moindre issue à de tels hommes, ils en profitent pour déserter. Si on les coince sur un « terrain mortel », ils sont contraints de lutter pour sauver leur vie. Les officiers s’exclamèrent alors : vous nous surpassez de loin !


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