2011-03-20

Stratagème n° 20 : troubler l’eau pour attraper le poisson

Tirer parti des querelles intestines, de la faiblesse et de l’absence de projet stratégique dans l’autre camp.
Le Yijing dit : le soir tombe, il faut rentrer pour dormir.

Le poisson ne peut voir dans quelle direction il nage en eau trouble, et l’homme ne sait pas distinguer le vrai du faux dans une période de désordre. Il laisse inévitablement apparaître un grand nombre de failles. Le principe essentiel est ici de troubler l’eau activement à l’aide d’opérations militaires qui intimideront l’adversaire pour profiter ensuite de la situation ainsi créée. La bataille de Feishui donne un exemple de la manière dont une armée puissante peut se faire pêcher comme un poisson sans défense lorsque ses chefs et ses soldats se prennent à craindre leur ennemi et à douter de l’issue du combat.
Fu Jian, prince de Qin, décida d’entreprendre la conquête de la dynastie de Jin qui avait transporté sa capitale à Nankin sur la rive sud du Yangzi. Un beau jour de l’année 357, Fu Jian réunit donc son grand conseil et lui tint ce discours : voici trente années que nous sommes au pouvoir et l’empire est désormais presque entièrement pacifié. Jin seul refuse de faire soumission. Nous disposons, selon nos dernières estimations, de plus de neuf cent soixante-dix mille hommes sous les armes. Je pense à les conduire au sud pour en finir avec les rebelles. Approuvez-vous ce projet ?
La réaction des conseillers fut pour le moins tiède. Jin régnait sur un territoire d’étendue modeste mais son agriculture était prospère, ses armées bien entraînées et décidées à se défendre. Les conseillers rappelèrent donc les obstacles qui rendaient l’entreprise hasardeuse : le prince de Jin n’a pas encore commis d’erreur politique qui le mette à notre merci. Il jouit du soutien de sa population. Son administration est composée d’hommes capables… Son horoscope est bon cette année. Et, en outre, il faudra faire passer le fleuve à nos troupes, ce qui ne sera pas une petite affaire. Toutes ces raisons ne faisaient pas l’affaire de Fu Jian qui tenait à tout prix à régner sur un jade sans tache et ne supportait plus la présence du petit royaume qui le narguait impunément. Et contre l’avis de tout son entourage, il décréta la mobilisation générale, prit la tête d’une force de huit cent mille hommes, envoya l’ordre à toutes ses armées de converger vers la capitale et se mit en marche.
En apprenant cette nouvelle, une vive inquiétude se manifesta à Jin. Le monarque irrédentiste convoqua son ministre Xie An et ils décidèrent ensemble qu’il n’y avait pas d’autre choix que de jeter leurs maigres troupes dans la bataille. L’armée de Jin qui comprenait une force d’à peine quatre vingt-six mille hommes et devaient envisager de combattre à un contre dix décidèrent de profiter du fait que l’immense colonne de l’armée de Qin descendait lourdement du Nord en une file longue d’une centaine de lis, pour attaquer immédiatement son avant-garde. Ils repoussèrent celle-ci sur la rive ouest d’un petit affluent du Yangzi, la rivière Feishui. Les deux armées se retrouvèrent donc face à face de chaque côté de la rivière Feishu. Etant donné qu’une armée se met toujours, lors du passage d’une rivière, dans une situation désavantageuse dont un ennemi peut facilement tirer profit, aucun des deux partis n’était prêt à engager la traversée le premier. La situation menaçait de s’éterniser. Xie An envoya donc le message suivant à son adversaire : cette guerre risque de s’avérer longue et coûteuse. Au point où nous en sommes, la meilleure solution serait que vous reculiez juste assez pour nous laisser prendre pied sur votre berge. Nous réglerions ensuite l’affaire en un seul engagement et tout sera dit.
Fu Jian réfléchit à cette proposition. Nous pourrions effectivement faire mine de reculer, les laisser s’engager à moitié puis revenir en force avant qu’ils n’aient atteint la rive. Et il accepta la proposition. Mais quand il donna le signal de la retraite, un étrange phénomène se produisit. On entendit sur les arrières de son armée un partisan du prince de Jin, qu’il avait infiltré, s’écrier à tue-tête : nous sommes battus. Jin a gagné ! Et l’immense foule s’emballa. Les hommes de Qin, jetant leurs armes, se prirent à courir dans le plus grand désordre, se bousculant et s’écrasant mutuellement, piétinant des montagnes de corps. A la faveur de cette panique générale, l’armée de Jin traversa sans encombre et, parvenue sur l’autre rive, se livra à un grand massacre.

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