2011-03-20

Stratagème n° 19 : retirer les bûches sous la marmite

Ne pas s’opposer directement à la force, mais lui retirer son point d’appui.
Le Yijing dit : tant que l’on reste dans son dos, le tigre ne peut mordre.

L’eau entre en ébullition sous l’effet d’une force : celle du feu, chaleur si vive qu’on ne peut l’approcher. Le bois est le support matériel d’où le feu tire sa force. Alimentant sa chaleur, il n’est pas chaud lui-même. On peut s’en saisir sans danger. Ainsi, même si une force est inattaquable, il est possible de tarir sa source. La méthode consiste à démoraliser l’adversaire et lui retirer sa combativité.
Une nuit, le camp du général Wu Han fut attaqué et la panique gagna ses troupes. Wu Han, quant à lui, demeura sur sa couche sans bouger. Ses soldats l’apprirent et s’apaisèrent aussitôt. La même nuit, Wu Han lança ses meilleures troupes dans une contre-attaque victorieuse. C’est ainsi que l’on doit tout d’abord réduire l’ascendant acquis par l’ennemi, avant de l’affronter.
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Sous la dynastie des Song, alors que Xue Changru était inspecteur général de Hanzhou, la garde ouvrit les portes du camp et se répandit partout en brûlant et massacrant tout sur son passage. Les hommes réclamaient la tête de deux fonctionnaires locaux. On vint en informer l’état-major. Les deux officiels mis en cause refusèrent de se montrer. Xue Changru se leva et sortit. Il alla à la rencontre des mutins et s’adressa à eux en ces termes : vous avez tous père, mère, femme et enfants. Que signifie ceci ? Que ceux qui ne sont pas à l’origine de cette mutinerie se rangent sur le côté. Tout s’arrêta. Seuls les huit initiateurs de la révolte prirent la fuite et s’égaillèrent dans les villages alentours. Ils furent poursuivis et arrêtés.
C’est un bon exemple de la manière dont il faut s’y prendre pour ôter tout courage à un adversaire.
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On dit encore que, dans une confrontation, ce stratagème peut consister à frapper les points faibles d’un ennemi puissant en ruinant ainsi tout le bénéfice de l’action qu’il préparait. Celui-ci se rapproche d’ailleurs beaucoup du proverbe : il ne faut pas craindre d’aller tâter le derrière du tigre. En effet, ses crocs sont à l’avant.
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La combativité d’une armée est le facteur décisif qui lui permet de soutenir le choc de la bataille. Pour stimuler l’ardeur de ses hommes, il existe plusieurs méthode, la première étant la terreur. Mes hommes ne peuvent nourrir deux craintes à la fois. Soit ils me craindront et se riront de l’ennemi. Soit ils craindront l’ennemi et se riront de moi. Celui dont on se ri perd la bataille. Celui qui la craint la remporte.
La deuxième méthode met en avant les récompenses.
Lors d’une de ses sorties, le roi Gou Jian, vit un crapaud gonfler son ventre comme s’il était en fureur. Gou Jian le salua du haut de son char en s’inclinant. Sa suite lui demanda : pourquoi donner à un crapaud une telle marque de respect ? Gou Jian répondit : c’est parce qu’il est en rage. Ses soldats l’apprirent et se dirent : si le roi est capable de saluer un crapaud en fureur, avec quelle générosité ne récompensera-t-il pas les actes de bravoure ? Et, dans l’année qui suivit, plus de dix de ses hommes se tranchèrent la gorge pour lui offrir leur tête en hommage.
La troisième méthode consiste à créer la fureur dans les rangs de l’armée pour l’amener à tuer.
Tian Dan était assiégé dans la ville de Jimo par l’armée de Yan. Le siège se prolongeait et Tian Dan commença à redouter de voir sombrer le moral des défenseurs. Il déclara un jour : j’ai bien peur que l’armée de Yan n’ait l’idée de couper le nez de nos prisonniers et de les ranger en première ligne pour les utiliser comme bouclier. Le moral de nos hommes n’y résisterait pas. Comme l’avait prévu Tian Dan, cette remarque fut rapportée dans le camp adverse et les troupes de Yan s’empressèrent de recourir à ce moyen. Voyant les prisonniers traités ainsi, les assiégés devinrent fous de rage, ce qui renforça d’autant leur combativité. Tian Dan retourna ensuite un espion de l’ennemi qui alla rapporter à Yan les informations suivantes : Tian Dan redoute que notre camp n’ouvre les tombes du cimetière de Jimo qui se trouve au pied des murailles. Pour les habitants de la ville ce serait terrible. L’armée de Yan s’empressa donc d’ouvrir les tombes et de brûler les restes des cadavres. A cette vue, les yeux des défenseurs se remplirent de larmes. Ils étaient tous prêts à tailler l’ennemi en pièces.
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Il y avait autrefois sur le continent une petite banque qui bénéficiait de la confiance d’un grand nombre d’épargnants. Son patron était un homme arrogant qui ne craignait pas d’offenser son entourage. Il s’attira ainsi la haine d’un confrère qui décida de le ruiner. Mais l’opération, si elle était menée de front, risquait de s’avérer coûteuse. Aussi l’offensé recourut-il au procédé suivant. Il demanda à ses subordonnés d’ouvrir des comptes dans la banque de son ennemi. Un millier de livrets furent ainsi ouverts. Une semaine plus tard, tous ces nouveaux clients vinrent réclamer en chœur le retrait de leur argent. Ils créèrent ainsi de longues queues devant les guichets. La rumeur se répandit en même temps qu’ayant subi certains revers l’établissement n’était plus fiable. Les clients s’affolèrent et coururent réclamer leur argent. Dans l‘impossibilité de faire face à cette demande subite, la banque fit faillite.
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Retirer les bûches sous la marmite fut également utilisé avec succès par l’un des deux candidats à l’élection présidentielle française de 1974. Giscard d’Estaing s’y présentait avec de nombreux atouts. Homme neuf, de belle prestance et doté de solides compétences, il devait affronter un candidat marqué par un trop long séjour dans l’opposition. La meilleure carte de Mitterrand tenait à la sensibilité de gauche qu’il incarnait déjà avec une autorité certaine. Lors du débat télévisé qui précéda le second tour des élections, Giscard d’Estaing choisit d’attaquer ce point sensible.
Après un échange portant sur diverses questions économiques et financières qui démontra sa dextérité en ces matières, Giscard d’Estaing ajusta une réplique qui avait pour but de retirer en un seul coup le point d’appui principal de son adversaire. Monsieur, vous n’avez pas le monopole du cœur, lança-t-il. Cette assertion visait à rappeler aux téléspectateurs que, outre la supériorité technique dont il était doté, Giscard d’Estaing n’était pas pour autant un homme froid ou dénué de sentiment et que la tendance politique qu’il représentait n’ignorait pas l’aspiration à une meilleure répartition des revenus et des biens qui représentait le meilleur atout de la gauche. La remarque porta.

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