2011-03-20

Stratagème n° 16 : laisser courir pour mieux saisir


Un ennemi aux abois se battra encore. Un ennemi qui peut fuir ne voudra plus lutter. Qu’on le poursuive donc sans le lâcher d’un pouce mais sans toutefois le forcer. Lorsque ses forces seront usées, son ardeur belliqueuse évanouie, et qu’il ne restera plus rien de son armée, on pourra s’emparer des fuyards sans même tacher de sang la lame de nos épées.
Le Yijing dit : un peu de patience assure le succès.

Ne pas traquer ne signifie pas ne pas poursuivre, mais seulement ne pas forcer.
Lorsque Zhuge Liang prit et relâcha sept fois Meng Huo, il le laissait chaque fois partir pour s’avancer à sa suite jusqu’aux confins des territoires barbares. Remettre en liberté sept fois son adversaire était pour Zhuge Liang une manière d’étendre son influence sur le terrain. Il se servait de Meng Huo pour soumettre les populations locales. Le but recherché était politique et non militaire car, à la bataille, on ne laisse, bien sûr, jamais s’échapper celui dont on a réussi à s’emparer.
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Mao Zedong en présenta sa version personnelle au cours des années 1956 et 1957 et du Mouvement des Cent Fleurs. Le coup d’envoi de cette campagne fut donné entre les mois d’avril et mai 1956 quand le président Mao annonça officiellement l’inauguration d’une nouvelle ligne politique qui fut résumée, quelques mois plus tard, par la formule que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent. Les cent fleurs désignaient les diverses formes de création artistique et les cent écoles les diverses tendances, marxistes ou non marxistes, de la scène intellectuelle et scientifique. Le président Mao suggérait même que cette campagne pourrait permettre la critique de certains aspects de la politique du parti communiste chinois. Ce mouvement ressemblait fort à une libéralisation du régime, mais, redoutant un piège, les intellectuels faisaient silence et les critiques attendues furent d’abord fort rares.
Tout au long de l’année, le président Mao répéta ses propositions jusqu’à ce que, à la fin de 1956, le soulèvement de Budapest vienne mettre le feu aux poudres. Il déclencha en Chine une vague de protestations, de manifestations et de critiques à l’égard du parti communiste chinois. Le mouvement se développa au cours du premier trimestre de 1957. Le président Mao ne fit rien pour l’arrêter, mais, au contraire, souffla sur les braises à intervalles réguliers.
Le 30 avril 1957, il annonça à des personnalités représentant les formations non communistes (tolérées comme compagnons de route) que, en substance, la lutte des classes était finie, que l’on allait maintenant se tourner vers la lutte contre la nature (bref, en termes marxistes, que la révolution était terminée) et que des critiques acerbes étaient plus attendues que jamais. Vous vous êtes surtout attaqués aux petits moines, semble-t-il avoir ajouté, ne ménagez par le père abbé (c’est-à-dire lui-même).
Cette réunion fit abandonner définitivement toute prudence aux opposants et les critiques atteignirent leur paroxysme, n’épargnant plus cette fois ni le système socialiste, ni le président en personne. Or, deux semaines plus tard, un petit article de Mao Zedong fut diffusé dans les organes du parti communiste chinois. Son titre était prometteur. Il s’intitulait : les choses viennent de changer. On pouvait y lire, entre autres, le passage suivant : les droitistes, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur du Parti, ne comprennent pas la dialectique. Quand un phénomène atteint son sommet, il se renverse en son contraire (…).
Le mouvement anti-droitiste qui fut lancé alors se solda par des millions d’arrestations et lamina pour longtemps l’opposition intellectuelle. Il est nécessaire de faire sortir les diables de leur boîte pour les exterminer, nécessaire de laisser pousser l’herbe empoisonnée pour pouvoir la sarcler. Remarquons encore que le proverbe laisser monter bien haut pour écraser bien fort fut entendu sur les lèvres de certains grands personnages de l’Etat à Pékin, au cours du printemps de 1989.

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