2011-03-20

Stratagème n° 14 : redonner vie à un cadavre

Celui qui peut encore agir pour son propre compte ne se laisse pas utiliser. Celui qui ne peut plus rien faire suppliera qu’on l’utilise. Se servir de celui qui ne sert plus à rien, pour lui faire servir nos fins.
Le Yijing dit : ce n’est pas moi qui réclame le concours du naïf, c’est lui qui se livre à moi.

Quand vient une période de changement de pouvoir, on voit de tous côtés honorer comme successeur légitime tel ou tel lointain rejeton d’une famille royale ancienne (dont les partis aux prises se servent comme prête-nom).
Xiang Liang, lors de la grande révolte qui mit fin à la dynastie des Qin, fit ainsi rechercher le dernier descendant des rois de Chu, un humble berger, pour restaurer le pouvoir de sa lignée et mener le combat en son nom.
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On vit encore utiliser cette méthode lorsqu’en 1931 le Japon établit l’Etat fantoche du Manzhuguo dans la riche zone de développement du nord-est de la Chine d’où provenait une bonne partie des ressources minières qui lui étaient nécessaires. La fondation de ce nouvel Etat fut présentée par le gouvernement japonais sous la bannière de la voie royale, pompeuse appellation de sa doctrine impérialiste, comme la restauration du pouvoir mandchou, chassé de Chine, après trois siècles de domination, par la révolution républicaine de 1911. Pu Yi, dernier empereur de la dynastie Qing, qui rongeait son frein depuis qu’il avait été contraint de quitter sa Cité interdite de Pékin, se vit offrir le trône. Une fois qu’il eut accepté, il fut traité comme une marionnette par le pouvoir japonais.
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Jadis le prince de Wei disposait d’un territoire étendu et de trois cent soixante mille hommes en armes. Il fédéra autour de lui douze petits chefs d’Etat et pensa alors s’attaquer au royaume de Qin. Le prince de Qin prit peur. Il cessa de dormir la nuit, perdit tout goût à sa nourriture et ordonna une mobilisation générale de sa population pour se préparer contre le redoutable assaut de Wei. Mais son ministre Shang Yang lui dit : je crains que nous ne soyons pas en mesure d’affronter militairement Wei. Laissez-moi me rendre à la Cour de notre ennemi. Je me charge de nous délivrer de ce danger. Le prince de Qin autorisa cet entretien. Shang Yang parla alors au prince de Wei en ces termes : Vous n’avez remporté de nombreuses victoires, Majesté, mais vos douze alliés ne sont que des petits Etats que vous menez à la cravache et ne vous seront d’aucune aide pour accomplir le grand dessein que vous avez en vue. Attaquez-vous donc carrément à Yan, à Qi et Chu, vos plus puissants voisins. Voilà une optique hardie qui prouverait à tous que vous vous attelez sérieusement à la conquête de tout l’empire. Et puis, à tout prendre, ne faudrait-il pas montrer ouvertement à vos vassaux vos intentions ? Débarrassez-vous donc de ces vêtements de cour que vous portez et revêtez la tenue qui convient à un empereur. Cela les impressionnera certainement.
Le prince de Wei jugea l’idée excellente. Il fit donc agrandir son palais, tailler un habit de pourpre, fit dresser le grand étendard à neuf pendentifs et la bannière ornée de sept étoiles, emblèmes du Fils du Ciel. Les princes de Qi et de Chu entrèrent en rage en apprenant cette nouvelle. Ils rassemblèrent les autres feudataires qui, terrifiés par l’audace de Wei, fuyaient son alliance. En une seule bataille, Qi défit Wei, dont le monarque, abandonné par tous, du aller en personne dans le pays de son vainqueur implorer sa clémence.
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Ainsi l’habituelle voie vers le pouvoir consiste-t-elle à céder la première place à un prête-nom et, si possible, à le choisir de noble origine mais dépourvu de tout pouvoir réel. Il sera toujours temps ensuite de se débarrasser de lui. On comprend la sagesse de la maxime de Laozi : celui qui se met en arrière, sera porté à la première place. Si chacun en a l’usage, on ne pourra l’emprunter, mais si personne n’en veut on vous priera de l’emporter.

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