2011-03-20

Stratagème n° 13 : battre l’herbe pour réveiller le serpent

Un coup frappé à l’improviste permettra de jauger l’intention de l’adversaire. Après cette exploration préliminaire, on pourra se mettre à l’ouvrage.
Le Yijing dit : le complot s’ourdit au fin fond des ténèbres.

L’ennemi ne montre pas le bout de son nez. Un piège se prépare donc dans la pénombre. Surtout ne pas avancer à la légère mais rechercher d’abord d’où partira le coup. L’expression fait allusion à la méthode connue qui consiste à frapper d’un bâton les hautes herbes pour éviter de rencontrer sur son chemin les serpents venimeux qui s’y nichent. Elle peut signifier dans un premier sens : donner l’éveil à l’adversaire à la suite d’une manœuvre maladroite (Prendre garde à ne pas frapper l’herbe et éveiller le serpent). Un autre sens de la formule souvent usité est : donner un coup de semonce.
Il y avait, à l’époque des Tang du Sud, un administrateur corrompu du nom de Wang Lu. Un beau jour, lasse de ses prévarications, la population de son district décida de lui donner en avertissement. Une supplique fut donc rédigée mettant en cause, non ce Wang Lu lui-même, mais son secrétaire. Wang Lu reçut la lettre et en prit connaissance. Terrifié à l’idée que l’affaire pourrait s’ébruiter, il écrivit machinalement dans les marges de la missive le commentaire suivant : vous n’avez fait que donner un coup dans l’herbe, mais désormais je suis un serpent averti. Le stratagème prend ici un troisième sens : obliger l’adversaire à se révéler sans pour autant se révéler soi-même.
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Après la mort du Premier Empereur de Qin, un complot de palais dont le chef d’orchestre était Zhao Gao mit sur le trône le plus jeune fils du défunt. Zhao Gao décida cependant bientôt de se débarrasser de son protégé. Avant de passer à l’action, il voulut tout d’abord s’assurer de l’entourage du monarque qui risquait de faire obstacle à ce projet. A cette fin, il fit don à l’empereur d’un cerf et lui dit : permettez moi de vous offrir ce cheval. L’empereur éclata de rire : je crains que vous ne fassiez une petite erreur, monsieur le ministre, cet animal est un cerf. Pourquoi me parlez-vous d’un cheval ? Zhao Gao ne voulut pas en démordre. L’empereur appela son entourage à la rescousse. Certains conseillers se turent prudemment. D’autres soutinrent que c’était un cheval afin de complaire à Zhao Gao. D’autres encore se rangèrent à l’avis de l’empereur. Zhao Gao n’eut plus qu’à inventer divers motifs d’inculpation et à se débarrasser d’eux. Dès lors, chacun dans le palais craignit sa puissance.
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La moindre zone d’ombres suffit à mettre en échec les mesures de sécurité les plus minutieuses, si les conjurés sont prêts à laisser leur vie dans l’affaire.
Guang, neveu de Liao, roi de Wu, voulait assassiner son oncle pour prendre sa place. Zhuan Shezhu, l’un de ses fidèles, lui dit un jour : je me fais fort de vous débarrasser du roi, mais une chose me retient encore. Quoi donc ? demanda Guang. J’ai une vieille mère et un fils encore dans l’enfance. Si je laisse ma vie dans cette entreprise, je ne sais ce qu’il adviendra d’eux. Je fais le serment de les traiter comme des membres de ma propre famille, dit Guang. Et, ensemble, ils dressèrent un plan. Au quatrième mois de cette année là, Guang invita Liao à participer à un banquet qu’il organisait en son honneur. Liao n’avait pas confiance en son neveu, mais il ne déclina cependant pas l’invitation. Il se contenta de prendre les mesures de sécurité qui s’imposaient en l’occurrence.
Le chemin qui menait du palais royal à la demeure de Guang fut gardé par une haie de soldats en armes. Depuis l’entrée de la maison jusqu’à la natte où devait s’asseoir le roi, en passant par les escaliers et les diverses portes des cours et des salles, tout était sous le contrôle de sa garde personnelle. Parvenus devant la porte extérieure de la salle du banquet, les serviteurs devaient changer de vêtements puis avancer à genoux en portant les plats, encadrés par deux gardes en armes. Les victuailles étaient ensuite présentées au roi par des membres de sa suite. Ce dispositif paraissait à toute épreuve.
Avant l’arrivée de son oncle, Guang avait eu soin de placer les hommes de sa troupe dans une cave secrète. Au beau milieu du festin, il feignit soudain un malaise, se retira et courut se réfugier dans cette cachette, laissant le champ libre à Zhuan Shezhu. Celui-ci avait introduit une dague dans la salle du banquet en la dissimulant dans le ventre d’un gros poisson. Il présenta ce mets au roi, puis, à la vitesse de l’éclair, tira la lame de sa cachette et le poignarda, pendant que les piques des gardes s’enfonçaient dans sa poitrine. Le roi et Zhuan Shezhu périrent ensemble, et Guang sortit de son refuge pour succéder à son oncle.

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