2011-02-17

Jean-Francois DUPAQUIER: l'agenda du génocide. Le témoignage de richard MUGENZI ex-espion rwandais

Analyses et controverses se succèdent sur le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates au Rwanda en 1994, mais souvent loin des réalités du terrain. Cet ouvrage est au contraire le résultat d'une enquête qui nous livre un document de première importance sur l'agenda de ces crimes de masse.
Avec le témoignage de Richard Mugenzi, recruté dès le mois d'octobre 1990 comme espion par les Forces armées rwandaises, nous sommes au coeur de la machine politico-militaire préparant le génocide, par lequel des groupes extrémistes espéraient conserver et même renforcer leur emprise - jusque-là sans partage - sur le Rwanda.

Les explications de cet ancien agent de renseignement de ce qu'on pourrait appeler le Deuxième Bureau de l'armée rwandaise rappellent que les massacres ont suivi une logique militaire et politique, et que les machettes des miliciens s'appuyaient aussi sur des armes modernes et sur un pouvoir sophistiqué.
Ce livre ne se présente pas comme un catalogue de "révélations" proférées par un témoin sorti de nulle part, mais comme le fruit d'un dialogue serré mené par Jean-Francois Dupaquier, qui connaît lui-même très bien le Rwanda.
Les propos de Richard Mugenzi sont restitués dans le contexte de l'époque. Sa biographie extraordinaire ne reste pas dans l'ombre. Il est heureux que ce témoin, interrogé de manière étonnamment négligente par les enquêteurs du Tribunal pénal international d'Arusha, puis par les services du juge Bruguière, puisse s'exprimer sans détour.
Ce livre aide à comprendre la logique profonde et l'efficacité redoutable de la machine montée, avec l'appui de militaires français, par les services de renseignement de l'armée rwandaise, acteurs de premier plan de la désinformation et de la propagande raciste déployée à la même époque par les médias extrémistes rwandais.

Jean-Francois Dupaquier, journaliste et écrivain, est un connaisseur de la région des Grands Lacs depuis 1972. Il a collaboré à plusieurs ouvrages de référence sur les manipulations identitaires et les violences politiques, aussi bien au Burundi qu'au Rwanda.
Edition Kharthala, 2010, 364p.

Extrait (p.77): Que vous apprenaient vos instructeurs français?
Ils venaient avec des cours préparés d'avance et les inscrivaient sur un tableau. Les grands titres c'était "l'espionnage radio", "les techniques de la désinformation", "les messages tactiques et les bobards", "les résistances dans les groupes sociaux". C'est ce dont je me souviens.
Que disent-ils de particulier sur l'espionnage radio?
Ils disent qu'il faut savoir si la situation est tendue dans le camp ennemi, et qu'on peut l'apprendre par le trafic entre deux opérateurs, par les inflexions de la voix, la rapidité du débit et la longueur des messages.
Et les techniques de désinformation?
C'est un domaine où ils exprimaient beaucoup d'intérêt. Mes instructeurs expliquaient la différence entre l'interception des messages radio et la création de bobards - c'est le mot qu'ils employaient souvent -pour désinformer. Tout l'art est de créer des messages et de les faire passer pour des interceptions. Les instructeurs donnaient des exemple.
Ainsi sur le champ de bataille, les attaques, contre-attaques, les embuscades et les infiltrations. Pour encourager les militaires, leur donner le moral, on peut travestir la vérité. Dire que l'ennemi prépare une attaque pour que les FAR soient sur le pied de guerre. Et surtout, dire aux troupes que l'ennemi est en situation de faiblesse, ou même en déroute. On peut faire passer une fausse interception affirmant que l'ennemi n'a plus de munition.s ou qu'ils demande des renforts, et alors on dit à nos militaires "Allez-y, attaquez, c'est le moment". Ainsi les militaires peuvent progresser au lieu de fuir devant l'ennemi.
Selon mes formateurs, il y avait beaucoup de peureux chez les militaires des FAR, notamment chez les sous-officers, et il fallait constamment remonter leur moral pour qu'ils se sentent forts. [...]
Vous avez évoqué les messages tactiques...?
Les messages tactiques et les bobards. Les bobards, ce sont des messages destinés à l'ensemble de la population, civils et militaires. On dit ainsi que le FPR va attaquer cette nuit. Alors la tension s'accroît, la vigilence est de rigueur. Les bobards servent à accentuer la vigilance de tout le monde.
L'autre motif, c'est la lutte contre les infiltrations. Vousaugmentez de la même manière la vigilance:"Vous serez attaqués d'un moment à l'autre". Alors qu'il n'y a rien. Ensuite, on dit aux militaires que s'il n'y a pas eu d'attaque, c'est grâce à leur vigilance qui a dissuadé l'ennemi d'agir. Et ils sont contents.

p.139
Et les faux télégrammes d'interception?
C'était aussi une chose soulignée par les Fran4ais quand ils m'ont donné une formation. Selon eux, les faux télégrammes d'interception étaient un élément important de la "guerre psychologique". il y en avait de plus en plus.
la désinformation représentait quel pourcentage de vos télégrammes d'interception?
Je dirais environ 30%. Sur la fin, la proportion était encore plus élevée.

Présenté sous forme d'entretien, ce livre montre de manière détaillée, depuis l'intérieur, la place qu'occupe la désinformation, vecteur principal de la guerre psychologique. Sans l'identifier formellement, ce livre apporte  un éclairage essentiel permettant de comprendre comme la logique génocidaire s'est mise en place, avec l'aide des conseillers militaires français.

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